
Capture d’écran du site d’Isla Délice
Coup de tonnerre. La marque Isla Délice, leader de la charcuterie halal en France, devrait changer d’organisme de certification. Dans les prochaines semaines, Délice de poulet, Délice de dinde et autres plats cuisinés de la société Zaphir ne devraient plus arborer l’estampille qui a contribué à installer durablement la marque, en l’espèce l’estampille de l’organisme de certification AVS.
L’abattage rituel, après les polémiques électoralistes
Souvenons-nous. Pendant la campagne électorale pour la présidentielle, l’abattage rituel a occupé une bonne partie de la classe politique. Ce choix populiste a coûté cher à l’ex-président, qui a finalement perdu l’élection. Mais ce n’est pas là la seule conséquence.
Fin 2011, la droite au pouvoir voulut offrir l’image d’un pouvoir qui joint les actes à la parole. C’est ainsi que fut publié en décembre 2011 un décret stipulant que les abattoirs qui pratiquent l’abattage rituel devront obtenir à partir du 1er juillet 2012 une autorisation préalable du préfet.
Ce décret, insensé d’un point de vue économique en ce qu’il pénalise la filière française, a amené d’une part certains abattoirs à renoncer au halal, d’autre part des professionnels à se rendre dans plusieurs pays européens (Belgique, Hongrie, Roumanie, Pologne…) où ils ont été accueillis les bras ouverts. La stratégie boiteuse de la droite a ainsi desservi non seulement l’UMP, mais encore l’industrie de la viande, pour qui le halal est une bouée de sauvetage.
Appliqué en théorie depuis le 1er juillet 2012, ce texte s’ajoutait à un premier texte européen voté en 2009, qui n’entrera en application que l’année prochaine en 2013.
Contention et assommage préalable
Le texte français de décembre 2011 a généralisé l’obligation de contention – c’est-à-dire l’immobilisation pendant l’abattage pour éviter toute souffrance à la bête et toute blessure aux employés –, mais pas seulement puisqu’il exigeait par ailleurs que les carcasses d’ovins et de bovins soient immobilisées dans les box de contention pendant une durée minimale après abattage (de l’ordre de 45 secondes pour les bovins).
Or, cette durée, courte au premier abord, ralentit considérablement les cadences d’abattage dans les grands abattoirs. Seuls quelques abattoirs ont trouvé des solutions pour pouvoir continuer à pratiquer l’abattage rituel, contrairement à la majorité des acteurs du marché qui ont préféré la voie la plus simple : la généralisation de l’assommage.
Précision d’importance : le texte entré en vigueur le 1 juillet n’imposait pas stricto sensu l’assommage avant l’abattage, mais il exigeait un certains nombre de contraintes, sinon dissuasives, à tout le moins suffisantes pour amener les acteurs économiques à céder.
Pour la volaille, les conséquences sont autrement plus problématiques. Avant l’adoption de ces textes de loi, il était possible d’abattre sans contention ni étourdissement avant la saignée. Désormais, la contention est obligatoire en cas d’abattage sans assommage. Cela dit, l’absence de définition précise permet une relative et large interprétation et offre ainsi aux abattoirs tout le loisir d’appliquer le texte comme ils l’entendent pour prétendre à l’agrément délivré par la préfecture.
Mais là encore, à l’instar des abattoirs mobiles pendant l’Aïd al-Adha, l’attribution de l’agrément est sujette à l’appréciation des services préfectoraux, et, partant, à une certaine élasticité (pour ne pas dire à un relatif arbitraire). Dans les faits, l’octroi du sésame varie selon les préfectures.
A ces deux contraintes (contention ou étourdissement préalable) s’ajoute l’obligation de traçabilité qui impose aux professionnels d’écouler la totalité de la viande abattue rituellement sur le marché rituel, halal ou casher. Jusqu’à présent les abattoirs écoulaient une partie de leurs viandes halal et casher dans le circuit traditionnel (non halal et non casher). Aujourd’hui, ils doivent se conformer à la loi. En pratique, rien n’a vraiment changé : on retrouve du halal, avéré ou prétendu, et du casher dans la filière non rituelle. Les abattoirs rivalisent d’ingéniosité pour passer outre ces nouvelles contraintes. Et pour cause : tant qu’il n’y aura pas d’étiquetage obligatoire sur les produits finaux, rien ne changera, sauf à mettre des agents de la préfecture dans chaque abattoir.
Isla Délice, AVS : le divorce
C’est donc dans ce contexte que le divorce entre AVS et Isla Délice a lieu. Troisième protagoniste dans cette affaire, dont les effets vont bouleverser le marché du halal : l’abattoir Celvia, qui appartient au géant LDC et où Isla Délice s’approvisionnait en viande de dinde certifiée par AVS. Celvia, d’où provient la viande halal de plusieurs acteurs du marché, dont Isla Délice, mais aussi Reghalal, marque de LDC. Ajoutons qu’une partie de la production halal de l’abattoir va dans le circuit non rituel, en l’occurrence dans les grandes et moyennes surfaces (Casino, Carrefour, Auchan, etc.). Nous l’évoquions en février 2010 à l’occasion d’une fâcheuse erreur d’étiquetage (Lire : Reghalal : la boulette). La grande distribution n’y trouvait rien à redire, jusqu’aux polémiques sur l’abattage rituel.
Depuis, changement de ton : désormais, la grande distribution exige de l’ensemble de ses fournisseurs qu’ils garantissent l’assommage avant l’abattage, rituel ou non rituel, d’une part pour éviter de contrevenir à la loi et d’autre part pour ne pas subir les foudres des associations animalistes (fondation Bardot, OABA, PMAF, etc.).
Lire : Halal : Carrefour reconnaît assommage et… lobbying
Comme d’autres, l’abattoir Celvia, qui se refuse à abandonner à ses concurrents la manne que constitue le halal, a décidé de satisfaire aux exigences de ces mastodontes. Conséquence immédiate : Celvia a mis en place l’assommage avant la saignée sur son site pour le généraliser à l’ensemble de sa production à compter du 1er janvier 2013, tout en refusant les solutions de contention proposées, contention qui aurait pu permettre un abattage sans étourdissement ni avant ni après. Dès lors, l’abattoir entrait en contradiction avec le refus du partenaire certificateur AVS d’abattre les dindes avec assommage préalable et met Isla Délice en porte-à-faux avec ce dernier. Notons que depuis quelque temps Celvia travaille à vendre les produits Reghalal directement aux boucheries musulmanes, sans passer par des distributeurs. Le différend avec Isla Délice et AVS s’inscrit ainsi dans une stratégie globale de captation du marché par le géant LDC.
Selon Isla Délice, que nous avons contactée, les nouvelles règles imposées par Celvia ont contraint la marque à trouver, dans l’urgence, un nouveau fournisseur. Sans matière première et donc sans produits à vendre, le numéro un de la charcuterie halal aurait risqué non seulement des amendes des enseignes de la grande distribution où il est massivement présent, mais, pire, son déréférencement en grande et moyenne surface. Le refus de Celvia d’accepter de tester les solutions proposées, notamment en matière de contention, est donc interprété par Isla Délice comme une mise à la porte.
Cela dit, le choix de Celvia de ne plus continuer à travailler avec Isla Délice faisait les affaires de la marque : les prix pratiqués par l’abattoir à son endroit étaient jugés prohibitifs. Fallait-il encore réussir à trouver un remplaçant. Isla Délice affirme avoir essayé, en vain. En France et à l’étranger.
Un cataclysme qui bouleverse le marché
En résumé, Isla Délice aurait décidé de rompre avec AVS essentiellement pour deux raisons :
- Il lui aurait été impossible de faire accepter un abattage sans électronarcose, tant en France qu’à l’étranger.
- L’intransigeance, supposée ou avérée, de Celvia aurait créé une situation d’urgence qui aurait été coûteuse, voire fatale, à Isla Délice. Dans l’urgence, il fallait dans ces conditions quitter non seulement Celvia, mais encore AVS.
Du côté d’AVS, on confirme la fin du contrôle et de la certification sur le site de Celvia au 1er janvier 2013 en raison du refus de pratiquer l’assommage. L’organisme affirme que des solutions, en vue d’un abattage avec contention conforme à la législation, étaient à l’étude avec certains de ses partenaires.
Pourtant, on ne pouvait, pour Isla Délice, imaginer pire scénario. Les conditions abruptes de sa rupture avec AVS, la rupture elle-même, le timing et l’aura de la certification auprès des consommateurs jouent pleinement contre la marque : régulièrement accusée de financer Israël (voir Simone Veil chez Isla Délice, AVS et la rumeur ), Isla Délice se sépare d’AVS au moment où l’État hébreu tue et détruit Gaza. Ce divorce devrait lui coûter très cher, tant la confiance des consommateurs à l’égard d’AVS immunisait la marque contre les critiques de sympathie à l’égard de l’État oppresseur de la Palestine. Le numéro un de la charcuterie halal a lui-même fait sauter la digue qui, bon an mal an, le mettait à l’abri. Ahurissant et surtout incompréhensible.
C’est un véritable cataclysme qui vient de se produire sur le marché du halal, cataclysme qui devrait complètement bouleverser le secteur et redistribuer les cartes entre les acteurs économiques présents et futurs, petits et grands. Bien malin celui qui pourra dire ce que sera le marché du halal dans les mois et les années à venir. Novembre 2012, an zéro d’un autre halal en France.